L'originalité est-elle compatible avec le leadership? L'artiste et le leader
Ariane Ahmadi est conseillère en stratégie de communication, spécialiste de la fabrique de l'authenticité.
L’originalité chez l’artiste : une condition de sa réussite
Dans le domaine artistique, l’originalité est une des conditions de la réussite. Définie comme ce qui est nouveau, singulier, personnel : elle est le meilleur rempart à la contrefaçon, à la banalité et donc à l’oubli.
Plus la singularité de l’artiste est identifiable dans l’œuvre (de quelle que nature qu’elle soit), plus sa diffusion à large échelle le place au-dessus de la mêlée, dans une distinction naturelle qui rend le jeu de la concurrence obsolète. Cinéma, musique, théâtre, danse…le virtuose est toujours celui ou celle dont l’exceptionnalité est rendue indiscutable par une signature personnelle, qu’on n’aperçoit ni n’entend « nulle part ailleurs ».
L’originalité devient ainsi une ligne de crête qui permet de durer en faisant un temps l’économie des catégories du marché : de faire sa place en créant un espace qui n’est pas arraché à d’autres, mais qui n’existait pas jusque-là. Une rupture désirable, que le public attendait, sans avoir conscience de ce désir. Une nouveauté nécessaire.
L’originalité face au leadership : une conformité à soi-même qui répond à la demande croissante d’authenticité
Or, l’originalité se dote lorsqu’il s’agit du leadership, de sa connotation la plus péjorative. Elle est assimilée à ce qui est bizarre, singulier, parce qu’excentrique. Une forme d’expression personnelle qui déborderait du cadre nécessaire à la prise de décision raisonnée. Cette opposition supposée est-elle véritable ?
L’artiste et le leader (celui qui agit pour avoir de l’impact) ont certes beaucoup de différences, mais la prise de décision et la conquête d’une influence à large échelle recèlent en réalité d’une dynamique commune entre singularité et quête d'universel.
A l’heure où les opinions publiques exigent de plus en plus un charisme soit une légitimité fondée sur l’authenticité, il semblerait que la créativité dans la prise de décision s’en trouve renforcée. La littérature nombreuse autour du leadership met en avant la primauté du naturel (ce qui appartient irrémédiablement à la personnalité) sur la technicité pour susciter l’adhésion.
La défense de valeurs sur le temps long, la conformité entre l’histoire personnelle et l’action (le storytelling) sont devenus des impondérables pour distinguer parmi les dirigeants ceux que l’on entend de ceux que l’on écoute, ceux qu’on admire de ceux que l’on reconnaît comme compétents.
La fabrique de l’authenticité chez le leader : la marque de la permanence face à un monde ambivalent et incertain
Être soi quoi qu’il en coûte, faire face, être résilient font partie des qualités nouvelles qui entourent ce que l’on attribue à des personnalités inspirantes. Or, l’authenticité, si elle prend des formes différentes en fonctions des individus, n’est autre que le récit d’un héros des temps modernes : celui ou celle qui se fraie un chemin vers la réussite sans altérer sa personnalité (ses croyances et son naturel).
Montaigne dans les Essais, développe ainsi l’ipséité comme « fidélité à soi et aux autres qui s’atteste devant autrui » soit une vérité en actes (la promesse tenue). « La tête haute, le visage et le cœur ouverts », cette association entre connaissance de soi et exigence de conformité vis-à-vis des autres se rattache aux codes de l’honneur, de la vertu et du courage.
S’opposant au sacre du courtisan à qui l’on enseignait « d’apprendre à occulter plutôt qu’à révéler » (De la cour, 1587), l’originalité dans cette approche peut être considérée comme un nouveau charisme et une nouvelle éthique du leader. Celui d’une stabilité face aux aléas, de la conviction plutôt que de l’opinion, du long terme plutôt que du court terme. Une expression personnelle et donc universelle du courage : la constance devenant une marque de l’authenticité associée à la persévérance, à la résistance et à la loyauté.
Un éloge de la franchise, original pour son temps.